Chapitre 21 / 22

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Comme chaque année, nous fêterons le nouvel an au musée où Maman travaille. Les Carrisford partant très tôt à l'aéroport le lendemain, ils ne se joindront pas à nous. Chris a proposé que nous nous retrouvions aujourd'hui, dernière occasion de se voir avant leur départ.

Maman nous a déposé comme convenu devant le karting. Chris et Jordan nous attendaient devant. Aucune trace de Zach.

-Il a dit qu'il ne se sentait pas bien, s'est excusé Jordan.

Soutenant mon regard un instant, il a immédiatement orienté la conversation vers la course de karting, heureux de tester ces machines pour la première fois. Je digère petit à petit l'idée de ne pas revoir Zach avant un mois...

Les garçons démarrent leur première course, tandis qu'Alizé et moi sirotons une limonade.

-Tu n'as pas l'air bien ? demande t'elle en agitant la paille dans son verre.

-Hein ? Oh, si, ça va... Je dois être un peu fatiguée.

J'observe d'un air distrait Jordan qui se rue dans les pneus qui délimitent le contour de la piste et éclate de rire. Si seulement je pouvais rayer une bonne fois pour toutes ces sautes d'humeur... Chris termine la course loin devant son frère et les autres participants. Euphorique, il quitte son kart en improvisant une chorégraphie des plus curieuses.

-C'était quoi, ça ? rigole Ali en récupérant son kart.

-Ma danse de la victoire ! rétorque Chris. Essaye de faire mieux !

-Tu parles du kart, ou de ta danse ridicule ? Je te mets la paté sur les deux.

Avec un clin d'oeil, elle referme la visière de son casque de protection. Elle m'impressione... Débarassée de son béguin, Ali a du cran, de la répartie et de l'humour. C'est bien la première fois que je me dis que je devrais suivre son exemple.

Je me glisse dans un kart et je fonce. J'ai beau ne pas être une grande fan de vitesse et de sensations, je profite de l'instant pour évacuer le négatif que je ressasse depuis noël. Finalement, c'est même assez drôle...

Nous nous rejoignons à table, les frères ayant commandé des encas en plus des boissons.

-Vous passez votre temps à manger, dit Ali en piquant une frite dans le ramequin de Jordan.

La réplique ne se fait pas attendre : ma soeur se retrouve avec une tâche de ketchup sur la joue.

-Et toi tu as du mal à te maquiller, non ? répond Jo en contenant son envie de rire.

Cela fait du bien d'être avec eux. C'est un de ces moments à figer, à conserver dans sa mémoire, avec une étiquette bien visible indiquant "j'ai de la chance". Et tant pis pour les absents...



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Je pousse la porte, soupirant d'être enfin rentrée. Parmi les choses qui m'agacent, cette coutume idiote de se souhaiter la bonne année, en particulier entre personnes qui les onze mois restant de l'année, n'éprouvent qu'une douce indifférence. Disons que c'est l'équivalent festif du "comment vas-tu ?" dont on n'attend guère de réponse. Et ça ne fait que deux semaines que cette sérénade a commencé, ce qui signifique qu'il reste encore la moitié du mois pour hausser les épaules. Et, accessoirement, une semaine avant le retour des Carrisford. Je suis forcée d'admettre que l'un des trois frères me manque particulièrement.

Lundi oblige : je m'installe dans la cuisine pour bâcler un exercice de trigonométrie, tout en surveillant du coin de l'oeil l'eau des pâtes que j'ai mis à bouillir. Lorsque Maman et Alizé arrivent, la table est mise, le repas prêt. Cela nous permet de nous mettre ensuite toutes les trois devant la télé et suivre un feuilleton hebdomadaire à l'intrigue tirée par les cheveux... Si l'émission n'a aucun intérêt, j'apprécie beaucoup ce nouveau rendez-vous où nous nous retrouvons, toutes les trois, en grignotant des confiseries et où, sans un mot, nous nous sentons bien ensemble...

-Courrier, m'indique Alizé.

-C'est Jordan ! je m'exclame en retournant la carte.

En effet, bien que toute la famille ait signé, le texte principal est rédigé de l'écriture ronde de mon meilleur ami. Il n'y dit pas grand chose, mais cette petite attention me va droit au coeur.

-Il aurait pu m'en envoyer une aussi, gromelle Ali en détaillant le visuel de la carte, une vue de New York.

-Il a marqué "bises à Alizé", dis-je en lui montrant la ligne correspondante.

De son côté, ma soeur s'est plongée dans la lecture du magazine auquel elle est abonné et dont le dernier numéro vient de lui parvenir. Je ne distingue que la couverture à dominante orange, avec plusieurs vedettes dont je ne connais pas la moitié. Je vois brusquement ses yeux s'écarquiller et sa bouche former un "ah" silencieux.

-Maman ! glapit-elle. Les Four Me Dable passent en concert près de chez nous.

-Tant mieux pour eux, dit Maman.

-Maman !

-Tu es un peu jeune pour aller à un concert, ma chérie...

-J'aurai onze ans ! Et si Livia m'accompagne ?

Je fronce les sourcils.

-Euh... Non ?

-Livia aussi est trop jeune, rétorque ma mère.

Ah, merci. Mais Ali revient à la charge.

-Et si Zach ou Chris était d'accord pour venir avec nous ?

-On en parlera avec eux, d'abord ? propose Maman.

-Oui, ils ne sont peut-être pas fans des Four Me Dable ! dis-je en ne cherchant aucunement à dissimuler la dimension sarcastique de mes propos.

Alizé ne relève même pas, relisant la page du magazine.

-Les billets seront en vente le mois prochain, le concert a lieu en juin.

-Ils s'y prennent super tôt !

-Pas du tout, explique Ali d'une voix experte. C'était pareil l'an dernier avec les Alliance et les Sweet Girls...

Si elle le dit... Je jette un regard distrait par dessus son épaule. Les quatre garçons du groupe sourient de toutes leurs dents, en dessous d'un message publicitaire annonçant une dizaine de dates de tournée. Je ris intérieurement, imaginant la tête probable de Chris quand on lui soumettra ce dilemme. Quant à celle de Zach, pour l'heure je l'éloigne le plus possible de mon imagination.

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