Chapitre 41 / 42

41

Nous n’avons pas dormi cette nuit. Nous sommes allés dîner au restaurant karaoké de la mère d’Alex. Mon amie était rentrée pour l’occasion de chez sa grand-mère. Les garçons ont chanté plusieurs fois sur scène, acclamés par les clients du restaurant. Je me suis même risquée à un duo avec Jordan. Bref, je ne me souviens pas d’une nuit plus jubilatoire que celle-ci auparavant.

Alors que Jordan interprète seul une ballade, Bryan invite Romy à danser. Ma mère en fait autant avec Ali, et Chris se décide à entraîner Alexandra sur la piste. Zach, visiblement embarrassé, se tourne vers moi.

-Je crois qu’ils l’ont fait exprès… marmonne t’il.

C’est très probable. Je lui souris.

-On n’est pas obligé d’aller danser, si tu n’en as pas envie.

-Je n’ai pas dit que je ne voulais pas, murmure t’il.

Il se lève et me tend la main. Nous nous mettons dans un coin de la piste le plus à l’écart possible.

-Au moins, ça nous donne l’occasion de discuter tous les deux, glisse t’il à mon oreille.

Pendant une seconde, je me prends à rêver qu’il va enfin mettre des mots sur nos indicibles sentiments, mais tandis qu’il me rapproche timidement de lui, il évoque les chansons que nous avons travaillé ensemble.

-« L’instant » devrait être le titre principal, mais que penses-tu que nous devons proposer pour la face B ? « Find my way » est une superbe chanson, mais peut-être un peu trop intimiste et personnelle. « Rain » est peut-être un peu trop conventionnelle, par contre.

-« Rain » me paraît très bien. Le mieux à faire est de leur jouer les deux titres et de les laisser choisir, mais s’ils vous laissent libre, j’aimerais mieux « Rain ».

-Tu n’aimes pas l’autre ?

-Je l’adore. Mais « Rain » est la première que nous avons travaillée.

-Je regrette que tu ne puisses pas venir avec nous à Londres.

La chanson de Jordan est terminée. Le disc-jockey appelle alors Zach et Romy pour un nouveau duo. Mon cavalier se précipite sur la scène, comme honteux de sa dernière déclaration. Les clients acclament à nouveau, tout comme ils ont salué avec chaleur la prestation de son cadet. Je ne peux m’empêcher de penser que c’est très bon signe qu’ils séduisent aussi directement le public, même dans un lieu comme celui-ci.

Je me retrouve à table entre Jordan et Alex qui m’observent d’un air de conspirateurs.

-Quoi ? dis-je en feignant l’incompréhension totale.

-D’accord, d’accord, tu ne veux rien nous dire, râle Alex.

-Il n’y a rien à dire… Malheureusement.

J’efface leurs expressions sceptiques en leur résumant la conversation que je viens d’avoir avec Zach. A l’exception de ses derniers mots, que je garde précieusement pour moi.

-Je n’ai pas tellement envie qu’on en parle davantage. Profitons de cette soirée… dis-je en conclusion.

Nous rejoignons Ali et Chris qui se déchaînent sur la piste de danse.

Vers cinq heures du matin, bien après le départ du dernier client et après avoir trinqué un bon millier de fois, nous rentrons tous chez nous. Je serre fort Jordan contre moi avant de monter en voiture avec ma mère.

-Vous allez assurer comme des bêtes.

-Surtout moi ?

-Surtout toi.

Je n’ose pas étreindre Zach également. Lui non plus apparemment. Il se contente d’un baiser sur mon front et me remercie pour la énième fois.

-Je t’appellerai dès notre retour pour te tenir au courant, ajoute-t-il.

J’acquiesce.

42

Seule dans ma chambre, alors que ma tête touche l’oreiller, je tente de faire le tri dans mes émotions de la journée, mais trop épuisée je m’endors.

Il est environ quinze heures quand j’émerge enfin. Un rythme bien peu habituel pour moi, mais il faut avouer que j’avais du sommeil à rattraper et un trop-plein de sentiments à gérer sur les dernières quarante-huit heures.

Je descends dans la cuisine et m’accorde un grand verre de jus de fruits. Le planning de Maman affiché sur le frigo me rappelle qu’elle finit plus tôt ce soir et elle a ajouté un post-it « que diriez-vous d’une soirée crêpes ce soir ? Bisous les filles ». Je souris. 

Je rejoins Ali au salon. Elle s’est mis un film. En m’approchant, je reconnais immédiatement « Aladdin », qui était le dessin animé que nous regardions systématiquement quand elle était plus jeune, sans quoi elle piquait une crise. Nouveau sourire.

-Tu te sentais nostalgique ?

-Hein ? Non, mais… C’est vrai que je ne l’avais pas regardé depuis un bout de temps…

Je regarde un moment le génie bleu brailler à tue-tête qu’il est le meilleur ami du héros, quand Alizé se redresse vers moi.

-Pour toi, dit-elle en me tendant une enveloppe.

Un mot de ma mère ? Pourquoi l’aurait-elle mis sous pli ? Je retourne la lettre. L’enveloppe est vierge.

-Zach a déposé ça pour toi il y a environ une heure, marmonne-t-elle. Il est passé sur le chemin de l’aéroport apparemment. Il a dit de ne pas venir te réveiller…

Je l’ouvre. C’est une feuille, pliée en deux. Sur le verso, une phrase au crayon, qu’il a probablement écrit à la hâte à en juger par l’aspect des lettres.

« Pour le moment, c’est dans celle-ci que j’ai mis le plus de moi. »

Je ne comprends réellement le sens de ces mots qu’en dépliant le papier. C’est un texte. La chanson qu’il a écrite seul. « I’m a liar »…