Chapitre 38 / 39

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Pour la première fois, je n’ai parlé à personne de la dernière conversation que j’ai eu avec Zach. Ni à Alex, ni à Jordan. Je me pose pourtant beaucoup de questions. J’ai bien peur de me faire des idées, mais comment faire autrement ? Pourquoi serait-il jaloux si lui aussi n’avait des sentiments à mon égard ?

J’ai ressassé ces pensées toute la semaine et maintenant que nous voici à vendredi soir, et que nous roulons en direction de la maison des Carrisford, j’ai, plus que jamais, la gorge nouée. Nous avons pourtant un programme chargé. Ce soir, nous fêtons en famille l’anniversaire d’Alizé, puis nous dormons toutes les deux chez eux, car demain nous devons préparer la boom que ma sœur donne avec ses copines pour célébrer ses onze ans. Romy a offert son garage pour l’occasion, consciente que les filles apprécieraient sans doute de pouvoir mettre la musique à fond toute l’après-midi.

Nous arrivons et pour une fois, toute la famille nous attend au salon. Chris a fait des pizzas et l’ambiance est plutôt agréable si je fais abstraction de l’électricité qui m’emplit quand je croise le regard de Zach. Notre gêne est telle que je ne vois pas comment les autres ne se rendent compte de rien. Nous mangeons, et arrive le moment des cadeaux. Alizé est complètement surexcitée par l’enveloppe contenant les quatre billets pour le concert des Four Me Dable.
-Qui l’accompagnera ? s’inquiète surtout ma mère.
Je souris en constatant l’échange de regards entre les trois frères. Chris toussote un peu avant de marmonner qu’il souhaiterait bien bénéficier de deux de ces tickets.
-Quoi ? s’exclame Zach.
-Tu devais être ailleurs dimanche dernier, lui assure Jordan. Tout le monde à part toi a remarqué que Chris avait une nouvelle très bonne raison de vouloir aller à ce concert.
-Oui, glousse Ali. Une raison avec des longs cheveux blonds…
Je me remémore brièvement la jeune fille avec qui je l’ai aperçu.
-L’assistante de la prof de danse ?
-Oui, tout à fait. On peut changer de sujet ? grimace Christopher.
-Je ne sais pas si je suis plus surpris qu’elle veuille aller voir ce groupe, ou par le fait qu’elle veuille y aller avec toi, marmonne Jordan.
-C’est très bien que Chris ait une petite amie, surenchérit Bryan, suscitant à nouveau nos gloussements. Mais il ne s’agira pas juste de jouer le joli cœur, il faudra veiller sur Ali aussi…
Chris hoche la tête.
-Au contraire, on sera deux à surveiller ! Ali, tu pourras proposer à une de tes copines de venir avec nous ? Je pense que Liv, Jo et Zach n’y verront pas d’inconvénient…
-Super !
Ma mère est  elle aussi très satisfaite de cet arrangement. Alizé reprend l’ouverture de ses cadeaux. Elle a l’air ravie de découvrir les petits strass pour cheveux que je lui ai choisi avec l’aide d’Alexandra. Romy lui a acheté un miroir mural en forme de soleil, constellé de mosaïques dans les tons roses et parme. Enfin, Ali ouvre le paquet de la part de Maman et pousse des hurlements surhumains en découvrant une paire de chaussures grises, décorées de quelques motifs et comportant un petit talon de quelques centimètres.
-Merci Maman ! Je vais être tellement classe avec ça demain !

Je souris. Décidément, ma sœur a des goûts bien étranges. Ma mère se tourne soudain vers moi et me glisse un paquet, le dernier qu’il restait sous la table.
-Liv, celui-ci est pour toi.
Je fronce les sourcils. Pour moi ? Je jette un œil interrogateur à Alizé, et je vois bien à son visage qu’elle était au courant. Je défais le ruban, avec un peu d’appréhension. Du tissu noir, voilé. Qui me rappelle vaguement quelque chose. Je déplie l’étoffe et reconnais la robe qu’Ali m’avait conseillé d’essayer il y a plusieurs mois.
-C’est pour ton concours, ma puce, souffle Maman.
Je ne sais pas quoi dire. Je ne sais pas si je suis vraiment contente. Si, je le suis, par cette délicate attention, mais est-ce que je ne vais pas avoir l’air idiote dans cette robe si sophistiquée ?
-Viens avec moi, ordonne Ali en m’attrapant par le bras.
Je la suis, constatant qu’elle est aussi grande que moi maintenant qu’elle arbore ses nouvelles chaussures. Elle m’entraîne dans la salle de bains du rez-de-chaussée, celle de Romy et Bryan.
-Vas-y, réessaye la robe !
Je refuse.
-Liv ! C’est mon anniversaire. Et j’ai dit à Maman de te prendre cette robe parce qu’elle t’allait vraiment bien. Il faut que je le prouve maintenant.
Je m’exécute, un peu gênée de devoir me changer devant elle, et de la situation dans son ensemble. La robe tombe jusqu’à mes genoux, légère, aérienne. Comme dans mon souvenir je me sens bien trop exposée par ce tissu qui colle à ma peau, à mes courbes. Ali tourne autour de moi, replaçant un faux pli, puis elle retire délicatement l’élastique qui retient mes cheveux.
-Tu as vu comme ils ont poussé ? Tu es superbe comme ça.

J’observe mon reflet. Alizé a raison, je n’avais pas remarqué que mes cheveux étaient si longs. Je me sens plus féminine, à moins que cela ne soit dû à la robe. Qui n’est pas si mal d’ailleurs. C’est même plutôt bien.
-Merci, je murmure à l’oreille de ma sœur.
-Viens, maintenant il faut montrer ça aux autres ! s’écrie t’elle en m’entraînant vers le salon.
Mince. Je soutiens d’abord le regard ému de Maman, celui, fier de Romy. Jordan m’adresse un sourire parfaitement énigmatique. Evidemment je n’ose pas regarder Zach.
-Je vais l’enlever, maintenant, pour ne pas l’abîmer, dis-je en m’éloignant.
Ali me bloque le passage.
-Interdit ! Je veux que tu sois hyper classe pour mon anniversaire. Tu ne la saliras pas, on a déjà mangé le gâteau !
Elle me raccompagne délicatement jusqu’à ma chaise. Jordan augmente mon malaise en se levant pour écarter la chaise de la table pour que je m’y installe. Et le pire, c’est qu’il a l’air très content de lui.

-Ali, c’est ta soirée ! Que veux-tu faire ? questionne Bryan.
-Oh, tu veux qu’on regarde la vidéo de ton spectacle ? propose Romy.
Ma sœur accepte avec ravissement. Zach s’éclipse pour aller brancher le caméscope à la télévision de l’étage. Pendant ce temps, j’aide Romy à débarrasser.
-Tu vas être la meilleure à ce concours de poésie, ma puce, m’assure-t-elle. Pas à cause de la robe, mais de ton talent. La tenue ne sera que la cerise sur le gâteau !
-Merci, Romy, mais personne n’a encore lu mon texte alors je préfère ne pas me faire d’illusion.
-Personne, hormis le jury qui t’a mis dans les cinq premiers, rappelle-t-elle.
Ne m’étais-je pas promis de croire davantage en moi ? Si. Peut-être même que cette robe va m’y aider. J’ai presque l’impression d’être déguisée…

Je monte discrètement à l’étage, retrouvant Zach qui est en train de rembobiner la bande. Il m’aperçoit et détourne les yeux. Une fois de plus, maintenant que je me trouve en sa présence, mes bonnes résolutions ont disparu et je n’ai plus la moindre idée de ce que je pourrais lui dire. Je ne sais même pas pourquoi j’ai choisi de venir le rejoindre. En fait, si.
-Je crois que nous n’avons pas terminé notre discussion, la dernière fois.
Cette fois-ci, il me regarde, soutenant mon regard.
-Je ne pensais pas qu’il y avait quoi que ce soit à ajouter…
-Zach… Je croyais que tu voulais que j’écrive cette chanson pour te moquer de moi. De ce que je pouvais ressentir.
Je n’en reviens pas d’avoir dit ça. Je dois avoir les joues écarlates… La sensation qui monte dans mon visage me laisse à penser que quelqu’un a augmenté soudainement le thermostat de la pièce d’une bonne vingtaine de degrés…
-Les autres vont arriver, marmonne Zach.
Mon embarras fait place à de l’agacement. A quoi joue-t-il ? Est-ce que je ne viens pas de faire un premier pas considérable ? Je m’avance jusqu’à lui, saisissant son bras pour le forcer à me faire face.
-C’est si dur que ça de réagir à ce que je viens de te dire ? Je me sens déjà assez ridicule, là. Et j’étais loin de me douter que c’était possible de l’être plus qu’il y a une minute, avec cette stupide robe de soirée…
-Tu es sublime comme ça.
Ma respiration se coupe. Nos yeux ne se quittent plus. Si nous avions été au cœur d’un fabuleux roman d’amour, c’est sans doute le moment où il se serait penché vers moi pour m’embrasser. Mais il ne bouge pas. Je n’ose pas faire un geste non plus. Sa dernière phrase résonne dans ma tête et son regard dit le reste.
Je ne m’éloigne qu’en entendant nos familles monter les escaliers.





39

Nous prenons tous place sur les banquettes. Nous regardons d’abord le spectacle d’Ali, puis la copie de la bande de démo des garçons…

Vers minuit, ma mère se prépare à partir, nous recommandant une douzaine de fois de faire attention lors de la boom.
-Mes copines ne sont pas des sauvages, rappelle Ali.
-Et je serai là pour veiller à tout, j’ajoute.
Pendant ce temps, Romy prépare nos lits sur les banquettes du salon à l’étage.
Alors que je me change dans la salle de bains, je prends conscience avec une certaine gêne que je vais dormir tout près de Zach, ce qui n’était pas arrivé depuis bien des années. A une époque où nous passions des nuits dans une tente au fond du jardin. Je sors de la salle de bains. Zach est à nouveau là, rangeant les câbles du caméscope. Nous sommes seuls.
-J’étais en train de me rappeler les fois où nous campions au fond du jardin de votre ancienne maison, dis-je dans un souffle.
-Ah… sourit-il. Quand Chris racontait des histoires pour vous faire flipper et que je devais vous convaincre, toi et Jordan, de ne pas rentrer en hurlant dans la maison ?
Une image s’impose à moi, comme émergeant du brouillard de mes souvenirs. Zach et moi, bien plus jeunes, à la lumière d’une lampe de poche. Lui qui se tient devant l’entrée de la tente, et qui me promet que si un loup ou quiconque essaye de rentrer pour s’en prendre à moi, il aura d’abord affaire à lui.

Je me glisse dans le sac de couchage installé par Romy, essayant de ranger ce souvenir le plus loin possible. Ali me rejoint quelques minutes après.
-Bonne nuit les filles, lance Zach avant de s’enfermer dans sa chambre.
Chris et Jordan l’imitent bientôt. Romy vient nous faire un dernier baiser avant d’éteindre la lumière.

Il y avait longtemps que je n’avais pas passé de nuit en compagnie de ma sœur. La dernière fois, elle avait probablement insisté pour que je lui raconte une histoire. Mais cette nuit, nous discutons à voix basse de sa fête du lendemain. Je l’écoute me parler de ses copines, des garçons de son école qui sont « de vrais gamins qui ne danseront pas sur les slows mais c’est tant pis pour eux, de toute façon ils sont tous moches comparés à Mark Eden »… La fatigue l’emporte sur l’excitation et elle finit par s’endormir. Dans le noir, je n’ai plus que le bruit de sa respiration, tranquille. Je me retourne. Il y a encore de la lumière dans la chambre de Zach, alors qu’il doit être près de deux heures du matin. Je me perds dans mes pensées, m’interrogeant sur ce qu’il fait derrière cette porte, et ne parviens à m’endormir que bien plus tard, après que cette dernière lumière se soit enfin éteinte.


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