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Pour la première fois, je n’ai parlé à personne de la dernière
conversation que j’ai eu avec Zach. Ni à Alex, ni à Jordan. Je me pose pourtant
beaucoup de questions. J’ai bien peur de me faire des idées, mais comment faire
autrement ? Pourquoi serait-il jaloux si lui aussi n’avait des sentiments
à mon égard ?
J’ai ressassé ces pensées toute la semaine et maintenant que nous voici
à vendredi soir, et que nous roulons en direction de la maison des Carrisford,
j’ai, plus que jamais, la gorge nouée. Nous avons pourtant un programme chargé.
Ce soir, nous fêtons en famille l’anniversaire d’Alizé, puis nous dormons
toutes les deux chez eux, car demain nous devons préparer la boom que ma sœur
donne avec ses copines pour célébrer ses onze ans. Romy a offert son garage
pour l’occasion, consciente que les filles apprécieraient sans doute de pouvoir
mettre la musique à fond toute l’après-midi.
Nous arrivons et pour une fois, toute la famille nous attend au salon.
Chris a fait des pizzas et l’ambiance est plutôt agréable si je fais
abstraction de l’électricité qui m’emplit quand je croise le regard de Zach.
Notre gêne est telle que je ne vois pas comment les autres ne se rendent compte
de rien. Nous mangeons, et arrive le moment des cadeaux. Alizé est complètement
surexcitée par l’enveloppe contenant les quatre billets pour le concert des
Four Me Dable.
-Qui l’accompagnera ? s’inquiète surtout ma mère.
Je souris en constatant l’échange de regards entre les trois frères.
Chris toussote un peu avant de marmonner qu’il souhaiterait bien bénéficier de
deux de ces tickets.
-Quoi ? s’exclame Zach.
-Tu devais être ailleurs dimanche dernier, lui assure Jordan. Tout le
monde à part toi a remarqué que Chris avait une nouvelle très bonne raison de
vouloir aller à ce concert.
-Oui, glousse Ali. Une raison avec des longs cheveux blonds…
Je me remémore brièvement la jeune fille avec qui je l’ai aperçu.
-L’assistante de la prof de danse ?
-Oui, tout à fait. On peut changer de sujet ? grimace Christopher.
-Je ne sais pas si je suis plus surpris qu’elle veuille aller voir ce
groupe, ou par le fait qu’elle veuille y aller avec toi, marmonne Jordan.
-C’est très bien que Chris ait une petite amie, surenchérit Bryan,
suscitant à nouveau nos gloussements. Mais il ne s’agira pas juste de jouer le
joli cœur, il faudra veiller sur Ali aussi…
Chris hoche la tête.
-Au contraire, on sera deux à surveiller ! Ali, tu pourras proposer
à une de tes copines de venir avec nous ? Je pense que Liv, Jo et Zach n’y
verront pas d’inconvénient…
-Super !
Ma mère est elle aussi très
satisfaite de cet arrangement. Alizé reprend l’ouverture de ses cadeaux. Elle a
l’air ravie de découvrir les petits strass pour cheveux que je lui ai choisi
avec l’aide d’Alexandra. Romy lui a acheté un miroir mural en forme de soleil,
constellé de mosaïques dans les tons roses et parme. Enfin, Ali ouvre le paquet
de la part de Maman et pousse des hurlements surhumains en découvrant une paire
de chaussures grises, décorées de quelques motifs et comportant un petit talon
de quelques centimètres.
-Merci Maman ! Je vais être tellement classe avec ça demain !
Je souris. Décidément, ma sœur a des goûts bien étranges. Ma mère se
tourne soudain vers moi et me glisse un paquet, le dernier qu’il restait sous
la table.
-Liv, celui-ci est pour toi.
Je fronce les sourcils. Pour moi ? Je jette un œil interrogateur à
Alizé, et je vois bien à son visage qu’elle était au courant. Je défais le
ruban, avec un peu d’appréhension. Du tissu noir, voilé. Qui me rappelle
vaguement quelque chose. Je déplie l’étoffe et reconnais la robe qu’Ali m’avait
conseillé d’essayer il y a plusieurs mois.
-C’est pour ton concours, ma puce, souffle Maman.
Je ne sais pas quoi dire. Je ne sais pas si je suis vraiment contente.
Si, je le suis, par cette délicate attention, mais est-ce que je ne vais pas
avoir l’air idiote dans cette robe si sophistiquée ?
-Viens avec moi, ordonne Ali en m’attrapant par le bras.
Je la suis, constatant qu’elle est aussi grande que moi maintenant
qu’elle arbore ses nouvelles chaussures. Elle m’entraîne dans la salle de bains
du rez-de-chaussée, celle de Romy et Bryan.
-Vas-y, réessaye la robe !
Je refuse.
-Liv ! C’est mon anniversaire. Et j’ai dit à Maman de te prendre
cette robe parce qu’elle t’allait vraiment bien. Il faut que je le prouve
maintenant.
Je m’exécute, un peu gênée de devoir me changer devant elle, et de la
situation dans son ensemble. La robe tombe jusqu’à mes genoux, légère,
aérienne. Comme dans mon souvenir je me sens bien trop exposée par ce tissu qui
colle à ma peau, à mes courbes. Ali tourne autour de moi, replaçant un faux
pli, puis elle retire délicatement l’élastique qui retient mes cheveux.
-Tu as vu comme ils ont poussé ? Tu es superbe comme ça.
J’observe mon reflet. Alizé a raison, je n’avais pas remarqué que mes
cheveux étaient si longs. Je me sens plus féminine, à moins que cela ne soit dû
à la robe. Qui n’est pas si mal d’ailleurs. C’est même plutôt bien.
-Merci, je murmure à l’oreille de ma sœur.
-Viens, maintenant il faut montrer ça aux autres ! s’écrie t’elle
en m’entraînant vers le salon.
Mince. Je soutiens d’abord le regard ému de Maman, celui, fier de Romy.
Jordan m’adresse un sourire parfaitement énigmatique. Evidemment je n’ose pas
regarder Zach.
-Je vais l’enlever, maintenant, pour ne pas l’abîmer, dis-je en
m’éloignant.
Ali me bloque le passage.
-Interdit ! Je veux que tu sois hyper classe pour mon anniversaire.
Tu ne la saliras pas, on a déjà mangé le gâteau !
Elle me raccompagne délicatement jusqu’à ma chaise. Jordan augmente mon
malaise en se levant pour écarter la chaise de la table pour que je m’y
installe. Et le pire, c’est qu’il a l’air très content de lui.
-Ali, c’est ta soirée ! Que veux-tu faire ? questionne Bryan.
-Oh, tu veux qu’on regarde la vidéo de ton spectacle ? propose
Romy.
Ma sœur accepte avec ravissement. Zach s’éclipse pour aller brancher le caméscope
à la télévision de l’étage. Pendant ce temps, j’aide Romy à débarrasser.
-Tu vas être la meilleure à ce concours de poésie, ma puce, m’assure-t-elle.
Pas à cause de la robe, mais de ton talent. La tenue ne sera que la cerise sur
le gâteau !
-Merci, Romy, mais personne n’a encore lu mon texte alors je préfère ne
pas me faire d’illusion.
-Personne, hormis le jury qui t’a mis dans les cinq premiers, rappelle-t-elle.
Ne m’étais-je pas promis de croire davantage en moi ? Si. Peut-être
même que cette robe va m’y aider. J’ai presque l’impression d’être déguisée…
Je monte discrètement à l’étage, retrouvant Zach qui est en train de
rembobiner la bande. Il m’aperçoit et détourne les yeux. Une fois de plus,
maintenant que je me trouve en sa présence, mes bonnes résolutions ont disparu
et je n’ai plus la moindre idée de ce que je pourrais lui dire. Je ne sais même
pas pourquoi j’ai choisi de venir le rejoindre. En fait, si.
-Je crois que nous n’avons pas terminé notre discussion, la dernière
fois.
Cette fois-ci, il me regarde, soutenant mon regard.
-Je ne pensais pas qu’il y avait quoi que ce soit à ajouter…
-Zach… Je croyais que tu voulais que j’écrive cette chanson pour te
moquer de moi. De ce que je pouvais ressentir.
Je n’en reviens pas d’avoir dit ça. Je dois avoir les joues écarlates…
La sensation qui monte dans mon visage me laisse à penser que quelqu’un a
augmenté soudainement le thermostat de la pièce d’une bonne vingtaine de
degrés…
-Les autres vont arriver, marmonne Zach.
Mon embarras fait place à de l’agacement. A quoi joue-t-il ? Est-ce
que je ne viens pas de faire un premier pas considérable ? Je m’avance
jusqu’à lui, saisissant son bras pour le forcer à me faire face.
-C’est si dur que ça de réagir à ce que je viens de te dire ? Je me
sens déjà assez ridicule, là. Et j’étais loin de me douter que c’était possible
de l’être plus qu’il y a une minute, avec cette stupide robe de soirée…
-Tu es sublime comme ça.
Ma respiration se coupe. Nos yeux ne se quittent plus. Si nous avions
été au cœur d’un fabuleux roman d’amour, c’est sans doute le moment où il se
serait penché vers moi pour m’embrasser. Mais il ne bouge pas. Je n’ose pas
faire un geste non plus. Sa dernière phrase résonne dans ma tête et son regard
dit le reste.
Je ne m’éloigne qu’en entendant nos familles monter les escaliers.
39
Nous prenons tous place sur les banquettes. Nous regardons d’abord le
spectacle d’Ali, puis la copie de la bande de démo des garçons…
Vers minuit, ma mère se prépare à partir, nous recommandant une douzaine
de fois de faire attention lors de la boom.
-Mes copines ne sont pas des sauvages, rappelle Ali.
-Et je serai là pour veiller à tout, j’ajoute.
Pendant ce temps, Romy prépare nos lits sur les banquettes du salon à
l’étage.
Alors que je me change dans la salle de bains, je prends conscience avec
une certaine gêne que je vais dormir tout près de Zach, ce qui n’était pas
arrivé depuis bien des années. A une époque où nous passions des nuits dans une
tente au fond du jardin. Je sors de la salle de bains. Zach est à nouveau là,
rangeant les câbles du caméscope. Nous sommes seuls.
-J’étais en train de me rappeler les fois où nous campions au fond du
jardin de votre ancienne maison, dis-je dans un souffle.
-Ah… sourit-il. Quand Chris racontait des histoires pour vous faire
flipper et que je devais vous convaincre, toi et Jordan, de ne pas rentrer en
hurlant dans la maison ?
Une image s’impose à moi, comme émergeant du brouillard de mes
souvenirs. Zach et moi, bien plus jeunes, à la lumière d’une lampe de poche.
Lui qui se tient devant l’entrée de la tente, et qui me promet que si un loup
ou quiconque essaye de rentrer pour s’en prendre à moi, il aura d’abord affaire
à lui.
Je me glisse dans le sac de couchage installé par Romy, essayant de
ranger ce souvenir le plus loin possible. Ali me rejoint quelques minutes
après.
-Bonne nuit les filles, lance Zach avant de s’enfermer dans sa chambre.
Chris et Jordan l’imitent bientôt. Romy vient nous faire un dernier
baiser avant d’éteindre la lumière.
Il y avait longtemps que je n’avais pas passé de nuit en compagnie de ma
sœur. La dernière fois, elle avait probablement insisté pour que je lui raconte
une histoire. Mais cette nuit, nous discutons à voix basse de sa fête du
lendemain. Je l’écoute me parler de ses copines, des garçons de son école qui
sont « de vrais gamins qui ne danseront pas sur les slows mais c’est tant
pis pour eux, de toute façon ils sont tous moches comparés à Mark Eden »…
La fatigue l’emporte sur l’excitation et elle finit par s’endormir. Dans le
noir, je n’ai plus que le bruit de sa respiration, tranquille. Je me retourne.
Il y a encore de la lumière dans la chambre de Zach, alors qu’il doit être près
de deux heures du matin. Je me perds dans mes pensées, m’interrogeant sur ce
qu’il fait derrière cette porte, et ne parviens à m’endormir que bien plus
tard, après que cette dernière lumière se soit enfin éteinte.
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