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Ce matin, dans le
bus qui m'emmène au collège, je pense aux trois frères. Non pas avec la
dévotion avec laquelle Alizé a évoqué Christopher toute la journée de dimanche,
à savoir, toutes les dix minutes et en ignorant les remarques amusées de ma
mère sur les sept ans d'écart de ma sœur et de son nouveau béguin. Non, ce
matin, je pense avec jalousie aux garçons, paisiblement endormis, tandis que je
me trouve dans ce bus à sept heures du mat’ pour rejoindre le bahut...
A l'avant-dernier
arrêt, comme à mon habitude, je descends. Le reste du trajet se fait à pied, en
compagnie de mon amie Alexandra. Elle habite dans un immeuble à quelques pas du
collège et n'a pas de carte de bus, ce qui nous permet d'avoir notre petit
quart d'heure de papotage tous les matins. Je connais Alex depuis trois ans
maintenant. Elle est arrivée dans ma vie à une période où j'étais beaucoup plus
renfermée... Je me fichais d'avoir des amis, je passais mon temps, mon carnet à
la main, à noter toutes les pensées qui me traversaient l'esprit : sans
cela j'avais l'impression d'exploser.
Alex a plus ou
moins pris le temps de m'apprivoiser. Elle restait avec moi pendant les pauses,
au déjeuner, attendant que je lève la tête de mon calepin. Elle ne
m'interrompait pas, ne m'interrogeait pas sur ce que j'écrivais, et c'est
certainement ce qui m'a poussé à m'ouvrir à elle, petit à petit. Alex est plus
fine psychologue que ne le seront jamais la plupart des gens.
Mon amie est là,
appuyée à l'abribus. Nous sommes à la fin d'octobre et le bronzage qu'elle a
ramené de Guadeloupe, d'où son père est originaire, commence à s'estomper de sa
peau brune. Ses cheveux noirs, tressés avec des extensions de la même couleur,
tombent jusqu'à sa taille.
-Alors, ce
week-end ?
-Pas si mal,
dois-je avouer. Ils n’ont pas tellement changé, finalement.
Nous commençons à
marcher vers le collège.
-J'en étais sûre,
que ça se passerait bien...
J'ai moi-même un
peu de mal à me rappeler pourquoi j'appréhendais tellement la soirée de
samedi...
-Et toi, chez tes
grands-parents ?
-La rouille,
comme d'hab.
La mère d'Alex
travaille dans un restaurant dansant, ce qui condamne Alex à passer tous ses
week-ends chez sa grand-mère.
-J'espère que ma
mère me fera bientôt assez confiance pour me laisser seule à la maison.
Franchement, j'ai treize ans, ça devrait déjà être le cas ! Mais bon, ne
parlons pas de ça, sinon ça va me mettre en rogne pour toute la journée... Rien
d'autre à me dire sur tes vieux potes américains ?
-Ils ne sont pas
vraiment américains...
-On s'en fout,
Liv ! Raconte...
-Y a pas
grand-chose à dire... Jordan est aussi cool qu'avant. Je te le présenterai, on
n'aura qu'à se faire un ciné bientôt... Et Chris, le plus vieux, il chante
super bien !
-Comment
ça ? Vous avez fait un karaoké, ou quoi ?
-Mais non, mais
il avait sa guitare, donc voilà...
La grille du
collège est en vue. Nous patientons jusqu'à la dernière minute avant
d'entrer... Un des points communs qui a poussé le rapprochement entre Alex et
moi, c'est que nous n'aimons pas vraiment venir ici. Pas tant pour les cours,
que nous suivons plutôt correctement - hormis les langues vivantes pour Alex,
et les maths et l'EPS pour moi. Ce sont les à-côtés qui nous posent souci. Les
récrés, les interminables heures de cantine. Je me suis toujours sentie à
l'écart, et si Alex m'a détournée de ma période "tête à tête avec mon
carnet", nous n'avons jamais voulu avoir une bande infinie de copines avec
qui parler fringues et soirées. Souvent ma mère m'a reproché d'être hautaine,
de ne pas faire d'efforts. Peut-être. Mais j'ai essayé, au moins une fois. Pour
regretter aussitôt. Je préfère mon amitié sincère et sans faille avec
Alexandra, à une quête de popularité inutile.
A l'entrée, le
surveillant nous salue distraitement d'un signe de tête. Nous nous dirigeons
dans les couloirs d'un pas résigné.
-On commence par
quoi ? Deux heures de physique ?
-Voilà qui
s'enchaîne merveilleusement avec mon week-end morne et ennuyeux... marmonne
Alex.
-Tu l'as dit, ils
abusent quand ils font les emplois du t...
La phrase se
bloque dans ma gorge, au détour du couloir. Alex suit mon regard et me toise,
les lèvres pincées.
-Ne fais plus
attention à lui, siffle-t-elle.
Nous continuons
donc notre marche vers la salle de physique, comme si de rien n'était. Comme
si, en m'apercevant à son tour, Matthieu n'avait pas fait exprès de plaquer
Julie contre le mur le plus proche pour explorer le fond de ses amygdales.
Comme si nous mourrions d'impatience de mourir d'ennui dans la salle de
physique. La sonnerie retentit, le prof ouvre la porte et je m'y engouffre la
première, presque soulagée.
5
Ma tentative
d'extériorisation remonte à l'année dernière et elle ne m'a menée à rien.
Hormis à Matthieu, donc à rien d'intéressant, pour être exacte.
Au bahut, tout le
monde connaît Matthieu Lindat. Pensez à tous ces teen-movies avec le héros beau
comme un dieu qui fait craquer toutes les filles... Et bien, ce n'est pas
Matthieu. Ce qui ne l'empêche pas d'être populaire et apprécié. On peut mettre
ça sur le compte de son côté beau parleur et son attitude décontractée, mais
cela s'explique aussi par la gigantesque villa avec piscine que possèdent ses
parents et où Matthieu organise, au début de chaque été, la fête la plus cool de
l’année.
Il n'y avait pas
de quoi se méfier quand Matthieu m'a demandé de le remettre à niveau pour le
cours de français. C'était la seule matière où il n'avait pas la moyenne et
celle où j'obtiens les meilleures résultats. Un matin, à la fin du second
trimestre de l'année de cinquième, Matthieu patientait devant mon casier. Il a
sollicité mon aide, très souriant, très charmeur, avec des arguments qui, il
l'a vite compris, ne faisaient pas partie de mon univers -la menace de ses
parents d'annuler sa grande fête s'il ne réussissait pas à l'examen de
français, la déception de tous nos camarades, la promesse d'une invitation en
échange de mon aide.
C'est sa dernière
phrase, celle qui a fait mouche. "Tu m'intrigues depuis tellement de
temps... Je sais peu de choses sur toi, hormis le drame que tu as dû traverser
il y a quelques années... Si tu m'aides, ça nous donnerait peut-être l'occasion
de mieux nous connaître."
En
effet, j'ai eu
l'occasion de passer plus de temps avec lui. Deux soirs par semaine, je
rentrais en sa compagnie et nous bossions les points sur lesquels il
flanchait.
Sa motivation était réelle. Au bout d'un mois à ce rythme soutenu, il
avait rattrapé son retard. L'interro de mi- trimestre lui avait rapporté
un joli 14
sur 20... Il m'avait raccompagnée chez moi, pour la dernière fois, le
vendredi
précédant les vacances de printemps. Dans ma chambre, brandissant avec
fierté
sa copie de français avec le chiffre 14 en rouge, il m'avait remerciée.
Et il
m'avait embrassée. Comme ça, sans signe avant-coureur, sans ma
permission,
avant que je n’aie pu moi-même savoir si j'en avais envie.
Il n'y avait pas
eu de second épisode. Je n'avais pas eu de nouvelles pendant les quinze jours
des vacances. J’avais donc largement eu le temps d’imaginer ce que je pourrais
lui dire. Je n’avais jamais réellement étudié l’idée d’avoir un petit ami, mais
Matthieu avait montré son sérieux, sa maturité, alors après tout… Je pouvais
lui laisser une chance ? Peut-être qu’en l’apercevant à nouveau, après ce
baiser volé, je réaliserai que je pouvais tomber amoureuse ?
A la rentrée,
pour la première fois je l'avais guetté dans les couloirs. Je n'avais pas mis
longtemps à le trouver, étroitement enlacé avec Julie. Je m'intéressais si peu
aux potins du collège que je ne savais même pas si leur histoire remontait à
longtemps. Apparemment, ils avaient été ensemble un temps et venaient de
remettre ça. La journée avait paru affreusement longue. Je m'étais sentie
tellement mal et honteuse de ma naïveté que je n'avais pas même pu me confier à
Alex. Rentrée chez moi, j'avais ressenti l'envie de reprendre mon carnet et d'y
écrire, ce qui n'était pas arrivé depuis plusieurs semaines. Parmi les
premières pages, l'une manquait. Elle avait été déchirée.
La fameuse fête a eu lieu, devant monsieur et madame Lindat qui avaient
plusieurs raisons d'être fiers de leur fils unique. Matthieu avait non
seulement bien réussi son examen final de français, mais il avait aussi eu
l'honneur de remporter le trophée régional du printemps des poètes. Le texte
qu'il m'avait volé n'avait pas nécessité beaucoup de modifications de sa part.
C'était un des poèmes destinés à mon père, et Matthieu n'avait eu qu'à changer
"Papa" en "Julie". Comme quoi, modifier un seul mot peut
rapporter gros : son premier prix d'écriture, la fierté de ses parents et tout
le collège qui le félicitaient, et son ex-copine qui était revenue sans tarder
auprès de son super poète.
Je n'avais rien dit. Je m'étais juste promis de m'en tenir à ce qui
faisait mon quotidien depuis plusieurs années, mon unique amie et confidente,
la discrétion et garder mon carnet et mes textes loin des regards.
6
-De toute façon, les mecs de notre âge, ce sont tous des gamins,
marmonne Alex en ouvrant l'emballage de sa sauce ketchup.
Face à elle, Jordan toussote.
-Oui, enfin, je ne dis pas ça pour toi, mais...
-T'en fais pas, je vois ce que tu veux dire, j'ai deux frères, dit
Jordan en souriant.
Nous sommes dans un fast-food, tous les trois. Jordan m'a appelé hier
soir, pour me proposer de l'accompagner pour récupérer sa batterie au
centre-ville. J'ai suggéré ce déjeuner avant, qui était l'occasion de réunir
mes deux amis et de les faire se rencontrer. Le courant a l'air de bien passer.
Très vite, nous en sommes venus à évoquer nos précédentes relations.
-En tous cas, ajoute Jordan à mon attention, si je croise ce Matthieu à
l'occasion, je peux lui en mettre une, tu sais...
J'éclate de rire, imitée par Alex.
-Je note, merci Jordan. Et toi, tu as brisé des cœurs avant de rentrer
des Etats-Unis ?
-Oui, des dizaines, dit-il en mâchouillant quelques frites. Des hordes
de filles m'ont suivi en pleurant jusqu'à l'aéroport. N'en parle pas à Chris,
il croit qu'elles étaient là pour lui...
-Et dans la vraie vie ? insiste Alex.
-Jamais eu de copine. Enfin, jamais rien qui ai compté. J'ai eu quelques
"dates", la plupart du
temps, des rencarts arrangés par un de mes frangins. Tenir compagnie à la
petite sœur de leur copine du moment, ce genre de plan.
Alex le fixe, l'air dubitatif.
-Jamais, jamais ?
-Jamais, jamais. Ces magnifiques lèvres sont une terre à conquérir,
ajoute t'il en désignant sa bouche pleine.
Et toi, tu en es où ?
-Ah... Moi..., soupire Alex. J'attends DiCaprio. Je te félicite pour ton
honnêteté, Jordan. Les gars du bahut mourraient de honte s'ils devaient
seulement admettre publiquement qu'ils sont puceaux.
-Ah, c'est un autre débat, admet Jo. Tout dépend si on cherche à se
fondre dans la masse, raconter n'importe quoi, ou même à battre des records de
précocité !
Je suis contente qu'ils s'entendent bien. Nous terminons nos sandwiches.
Jordan récupère des milkshakes chocolat à emporter, que nous buvons en marchant
jusqu'au magasin de musique. A l'angle de la rue, Alex désigne l'arrêt du bus
le plus proche.
-Je vais vous laisser, déclare-t-elle. Ma mère ne bosse pas cet aprèm',
je vais passer un peu de temps avec elle. Liv, à demain, et Jordan, à bientôt !
-A bientôt !
Mon amie s'éloigne avec un signe de la main. Jordan termine sa boisson
avec un terrible bruit de succion.
-Mon père arrive dans dix minutes, dit-il en consultant sa montre.
Sympa, ta pote...
-Oui, elle est super. J'aurai été un peu paumée sans elle.
-Oui, et puis je suis à nouveau là, maintenant. Tu vas être bien
entourée !
Je souris.
-Une chose m'échappe... continue Jordan.
-Je t'écoute ?
-Ce concours de poésie, là... Pourquoi tu n'y as jamais participé, toi ?
Ouch ! Un sujet tabou, pour moi.
-Je n'ai aucune envie de... d'exposer mes pensées à ce point.
-Je crois que l'autre idiot ne t'a pas laissé le choix. C'est juste
dégueulasse qu'il récolte les lauriers alors que c'est toi qui as le talent.
-Non, Jordan, sérieusement... Je ne me vois pas envoyer un de mes
textes, espérer une réponse... Si la lettre me dit juste "merci de votre
participation, mais votre texte ne correspond pas à notre recherche"...
-Et alors ? Au moins tu auras essayé... Et indirectement, tu as gagné
l'an dernier. Même si personne ne le sait. Donc, ça vaut le coup de tenter ta
chance une seconde fois.
Je termine à mon tour le milkshake et jette les deux gobelets dans la
poubelle la plus proche. Jordan ne me quitte pas des yeux.
-Tu n'as rien à perdre, non ?
Je soupire. Non, je n'ai rien à perdre.
Une camionnette s'arrête à notre hauteur. Zach en descend, tandis que
Bryan gare le véhicule au plus près de la boutique. Jordan accueille son frère
en lui tirant la langue.
-Tu es là, toi ? Je croyais que tu ne sortais pas en plein jour...
-Tu es de plus en plus drôle, toi ! Salut, Liv.
Zach a l'air moins taciturne que samedi dernier. Il observe avec intérêt
la vitrine du magasin.
-Cette Fender est magnifique, murmure t'il.
Je le crois sur parole. Bryan nous rejoint et nous pénétrons dans le
magasin. Zach s'est déjà éclipsé alors que nous abordons le vendeur. La
batterie de Jordan a bien été livrée. Bryan signe le reçu et commence à charger
les épais cartons apportés par le vendeur. Jordan semble en extase.
La batterie est prête à partir. Zach aussi. Enfin presque. Dans le fond
du magasin, il est en pleine discussion avec son père. Je ne suis pas vraiment
la négociation, car ils parlent anglais. Jordan n'y prête aucune attention,
tripotant avec minutie les différentes sortes de baguettes proposées dans le
rayon percussions. Une des paires, la plus coûteuse, est en plastique et
s'illumine dans le noir.
-Oublie, lui glisse son père en passant derrière lui, je viens de me
ruiner entre ta batterie et la basse pour ton frère.
-Une basse ? Mais il ne voulait pas une nouvelle guitare ?
-J'ai changé d'avis, déclare Zach, les yeux brillants.
Il tient serré contre lui un étui neuf qui contient son nouvel
instrument.
Bryan signe un second chèque pour la basse, le vendeur leur offrant
l'étui de la basse et deux paires de baguettes.
-Dommage qu'ils n'offrent pas les boules Quies, le temps que vous
maîtrisiez chacun vos nouveaux jouets, dit Bryan avec un clin d'œil.
Un quart d'heure plus tard, nous arrivons chez eux. Jordan installe sa
batterie à toute vitesse dans le salon à l'étage. Je n'y connais rien, mais
j'aime vraiment les couleurs, le bois peint en noir métallisé et les peaux
grises des différents tambours. Chris nous a rejoints, délaissant son
ordinateur portable pour admirer la nouvelle arrivante. Zach, quant à lui,
s'est enfermé dans sa chambre avec sa basse. Je distingue quelques notes, à
peine perceptibles, derrière la porte close. A priori, ce premier entrainement
se fait sans ampli...
Je me tourne vers Jordan qui, planté devant sa batterie, la regarde
comme un chef d'œuvre.
-Tu ne la testes pas ?
-Je dois la régler d'abord, explique-t-il en me montrant un petit objet
argenté. Avec cette clé. Je m'en occuperai quand tu partiras, car ça prend du
temps.
-Oui, surtout qu'après, il va rester collé dessus pendant des heures !
ajoute Chris. J'étais en train de trier nos photos, si vous voulez venir
regarder ça avec moi ?
J'accepte avec plaisir. Jordan propose que nous nous installions dans le
canapé du rez-de-chaussée pour plus de confort.
Le tri se transforme vite en visionnage commenté par les deux frères. La
plupart des photos montrent des coins des Etats-Unis où je rêverais d'aller...
-Ah, ça, c'était à San Francisco. Cette terrasse venait d'être finie et
Maman n'a pas quitté les transats de la semaine...
-Et là..., on visitait un musée de la philatélie, le truc bien pénible, mais
Jordan était en pleine crise "collectionneur"...
-Oui, et là, c'est la fille qui t'a rembarré, dans ta période
"collectionneur" à toi aussi... Tu en es à plusieurs milliers de
"non", maintenant, c'est pas mal...
-Mais non, celle-là, je l'abordais juste pour qu'elle me file le numéro
de sa copine... En même temps, il valait mieux ça que s'extasier devant des
vieux timbres.
Sur l'une des photos, où le trio est sur une plage, je remarque avec eux
une jeune fille blonde. Très mignonne.
-Miami... Cette plage était immense.
La photo suivante montre Zach et la blonde, tous deux en maillots de
bain. La fille est en train de mettre de la crème sur le dos de Zach.
-C'était l'été dernier, précise Jordan. Un de mes meilleurs souvenirs,
on s'est vraiment éclatés.
Encore un clic, et je retrouve le minois de cette belle inconnue. Zach,
de dos, la porte sur son épaule comme un sac, et l'entraîne vers les vagues. La
fille est visiblement en pleine crise de fou rire. Dans le bord à droite,
Jordan lève un pouce vers le ciel bleu, affublé d'une horrible casquette.
-Oh non, cette casquette... Un cadeau de Zoé... dit Jordan en grimaçant.
En prononçant le prénom de Zoé, il désigne la photo. La regarder me met
mal à l'aise, sans que je parvienne véritablement à comprendre pourquoi. Est-ce
de voir Zach parfaitement heureux et souriant ? Ou de réaliser à quel point il
a vieilli, en comparaison des photos de notre enfance... Parce que le corps
tartiné de crème par cette blonde n'a rien à voir avec celui du petit garçon
maigrichon de sept ans avec qui j'ai appris à nager il y a longtemps.
D'autres images défilent mais je suis moins attentive. Chris parait déçu
que je ne m’extasie pas sur une photo de lui au volant d'un coupé cabriolet
rouge.
-Franchement, cette bagnole c'était... La meilleure petite amie que j'ai
jamais eue ! s'exclame t'il.
-A défaut d'en conduire une vraie, chuchote Jordan.
J'esquisse un sourire.
-C'est un des trucs terribles de ce pays..., reprend Chris sans avoir entendu. Le fait de ne pas pouvoir
conduire. Enfin, plus qu’un an et je prendrai ma revanche.
La sonnerie du téléphone retentit dans la pièce. Chris se lève pour
répondre.
-C'est ta mère. Elle passe te prendre dans vingt minutes.
-Ok, merci.
-Tu veux boire un verre en attendant ? demande Jordan.
-Pourquoi pas ?
J'accompagne Jordan à la cuisine. Il nous sert deux limonades et en me
tendant mon verre, je lui trouve un air soucieux.
-Tu as eu un coup de blues, tout à l'heure ?
-Non, pas vraiment... Enfin, je ne sais pas. C'était passager.
J'avale une gorgée de limonade et m'efforce de sourire.
-Tu as hâte de te consacrer à ta batterie, j'imagine.
Le visage de Jordan s'illumine et il acquiesce.
-Tu devrais y réfléchir encore, pour cette histoire de concours. On a
tous de nouvelles choses à affronter, dans la vie. Certaines plus dures que
d'autres.
-Oui mais ça, c'est... différent.
-Non, Liv. Si tu as un don, la pire chose à faire serait de l'ignorer.
Un don... Je ne l'ai jamais réellement vu comme ça. Pour moi, ce carnet
est le dévidoir de mes pensées. Juste un moment où ma tête est trop pleine, où
je saisis un stylo et où le trop plein s'écoule de mon esprit vers la page. Un
don ?
-Ok, ok... Je vais relire deux ou trois textes et en choisir un.
Peut-être.
-C'est juste ce que je voulais entendre, conclut Jordan.
Nous marchons ensemble jusque dans la petite cour, le temps de voir
arriver la voiture de ma mère. Elle descend une seconde pour embrasser Jordan
et Bryan, qui prenait des mesures pour l’aménagement de leur cour... Elle
s'excuse de ne pas rester, mais un nouveau dîner est prévu pour dimanche soir,
chez nous cette fois-ci. La voiture s'éloigne, j'adresse un signe de la main à
Jordan, qui en retour agite la clé en métal qui doit servir à accorder sa
batterie.
je suis peut être un peu vieux jeu, mais à 13 ans on s'embrasse déjà comme ça?
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